Après cinq ans passés à la direction d’Insertion Suisse, Fatoș Bag a décidé de relever de nouveaux défis professionnels et quitte ses fonctions à la fin du mois de juin 2024. Nous la remercions pour son engagement profond, constructif et sa détermination à défendre les intérêts de la branche. Grâce à son travail précieux, nous avons assisté à une forte croissance du nombre de nos membres et à un élargissement du réseau de l’association.
À partir du 1er septembre 2024 le nouveau secrétaire général d’Insertion Suisse, Sepala Megert, titulaire d’un Master en travail social et politiques sociales, prendra ses fonctions à Berne. Nous sommes convaincus que sa grande motivation, associée à son expérience pratique et à son expertise, permettra à l’association de continuer à progresser.
Michelle Schulz, collaboratrice Back Office quitte également AIS fin juillet pour se concentrer sur ses projets de développement de jeux de société. Nous la remercions pour son travail et en particulier pour sa grande contribution à la modernisation informatique du secrétariat.
Future étudiante à la Haute école de travail social et employée de commerce, Lena Affolter, se réjouit de prendre la suite en tant que collaboratrice Back Office. Nous lui souhaitons la bienvenue et beaucoup de succès dans l’exercice de sa nouvelle fonction.
Une année en chasse une autre. Que retenir de 2023 ? Quelles thématiques ont été au cœur de l’activité d’AIS en 2023 ? Quel bilan tirer de cette année riche en nouveautés ? Quels résultats sont au rendez-vous ? Notre présidente Irène Kälin et notre secrétaire générale Fatoș Bag nous en donne un aperçu dans l’éditorial du rapport.
Le secteur de l’insertion a été marqué en 2023 par des développements qui ont apporté à la fois des défis et des opportunités pour notre branche. Ces évolutions illustrent une fois de plus à quel point nous sommes étroitement liés aux dynamiques et aux tendances du marché du travail. La situation économique positive, avec une baisse sensible des chiffres du chômage et de l’aide sociale, est réjouissante et souligne la pertinence de notre travail. Pour autant, nous sommes confrontés à une situation paradoxale : nos membres ont dû et doivent encore faire face à des réductions de subventions publiques et des coupes budgétaires entraînant parfois jusqu’à la fermeture de programmes. Un autre sujet important, qui nous a préoccupé et continuera à nous préoccuper intensément dans les années à venir, reste la pénurie de main‑d’œuvre qualifiée. Dans le cadre d’un colloque très fréquenté réunissant de nombreux acteurs et actrices, nous avons lancé la discussion sur la contribution de notre secteur à la réduction de la pénurie de travailleurs et travailleuses qualifiés·es.
Dans cette perspective, nous considérons l’utilisation du potentiel national comme une opportunité décisive pour faire face à cette pénurie et y voyons une grande opportunité pour notre secteur et les personnes en recherche d’emploi en Suisse. Une collaboration étroite et constructive avec les bailleurs de fonds, les partenaires sociaux et le secteur économique revêt une grande importance pour notre branche. En tant qu’association faîtière, nous nous engageons, avec notre réseau en constante expansion, pour favoriser un dialogue constructif avec tous les acteurs et ainsi œuvrer en faveur de conditions-cadres optimales pour nos membres et les personnes qui cherchent à réintégrer le marché du travail. Une période de turbulences se profile devant nous que nous ne pourrons surmonter qu’en travaillant ensemble. Notre secteur est exposé à de fortes fluctuations conjoncturelles et à des changements structurels. Il est donc essentiel que nous resser rions nos rangs en tant qu’association, que nous optimisions la répartition de nos tâches, que nous utilisions les synergies pour apporter le plus grand bénéfice possible à nos membres. Ce n’est qu’en agissant ensemble que nous pourrons relever les défis à venir et façonner activement l’avenir de l’intégration professionnelle et sociale. C’est dans cet esprit que nous vous remercions chaleureusement de votre soutien et de votre engagement et que nous envisageons un avenir commun, main dans la main.
Irène Kälin
Présidente AIS
Fatoș Bag
Secrétaire générale
« À la rencontre d’Insertion Genève »
Processus de professionnalisation, impact de la mise en place du salaire minimum dans le canton ou encore rencontre avec les faîtières patronales − dans son interview, Insertion Genève, nous retrace son parcours, nous livre ses ambitions pour le futur et s’exprime sur les enjeux régionaux qui la préoccupent.
Pourriez-vous nous présenter votre association ?
Insertion Genève est une structure associative gérée par un Comité bénévole de 5 personnes. Dans sa volonté de professionnaliser l’association, Insertion Genève a engagé à 40% au 1er novembre 2022 leur Chargée de mission, Alexandra Ribi, qui coordonne aujourd’hui les actions du Comité. À ce jour, Insertion Genève rassemble 25 organisations actives dans la formation et l’insertion socioprofessionnelle du canton de Genève. Avec la professionnalisation d’Insertion Genève, nous avons pour objectif de renforcer la représentation des intérêts de nos membres auprès des autorités et d’offrir davantage de prestations.
Quelques mots sur vos activités et actualités ?
La professionnalisation d’Insertion Genève est notre priorité actuelle. Nous avons commencé par une phase de recensement et d’actualisation des coordonnées de nos membres. Nous avons ensuite défini trois grandes étapes pour la professionnalisation : l’amélioration de l’organisation et du fonctionnement général d’Insertion Genève, l’augmentation de notre visibilité et enfin, le développement de nos prestations.
Nous avons rencontré proactivement nos membres, afin de mieux les connaître et découvrir leurs activités. Conjointement à cela, nous avons élaboré un sondage numérique, afin de compléter les informations de notre base de données sur les membres. Un grand travail de récolte et de capitalisation des données issues des entretiens et du sondage numérique est en train d’être finalisé.
Nous avons également lancé un groupe de travail, afin de mener une réflexion sur les critères d’adhésion et les valeurs d’Insertion Genève. Enfin, nous venons de créer notre page LinkedIn, qui renforcera notre visibilité et la communication avec nos membres.
Quels sont les enjeux qui vous préoccupent aujourd’hui ?
La problématique du salaire minimum pour le cas des stages de réinsertion professionnelle a été au cœur de nos préoccupations ces derniers mois. Depuis l’application du salaire minimum en novembre 2020 à Genève, il y a eu un durcissement des directives émanant de l’Office cantonal de l’inspection et des relations du travail (Ocirt), qui obligeaient les prestataires à rémunérer leurs stagiaires au salaire minimum.
En raison de l’incapacité de certaines structures sociales d’assumer financièrement ces stages, de nombreuses offres ont été supprimées ou étaient en danger, et ce au détriment des bénéficiaires.
« Insertion Genève s’est engagée dans un groupe de travail guidé par le Département de la cohésion sociale, pour la réalisation d’un projet de référentiel de critères d’exception au salaire minimum pour les stages d’insertion socioprofessionnelle. »
Courant mois d’octobre 2023, le Conseil d’Etat genevois a décidé d’adapter son règlement. Les stages d’insertion socio-professionnelle pourront désormais être exemptés du salaire minimum selon des critères bien précis.
Dans quels domaines les prestations d’insertion devraient être développées selon vous ?
Insertion Genève a des attentes quant à la mise en place d’une stratégie cantonale d’insertion conjointement élaborée par l’Hospice général et l’OAIS. Elle souhaite :
- se positionner comme un acteur transversal, agissant au nom de ses membres, pour démontrer les forces et les ressources du secteur de l’insertion professionnelle à Genève ;
- faire le lien entre les membres de toutes tailles et les institutions (OAIS, HG à ce jour) ;
- contribuer à faire reconnaître le secteur de l’insertion professionnelle comme un secteur professionnel à part entière, à travers une faîtière ;
- remplir des mandats, des missions pour l’OAIS et l’Hospice Général et remplir un rôle éminemment soutenant, qui contribue à valoriser le travail de tous ses membres.
Il est question également de mener des rencontres proactives avec les faîtières patronales, et ce afin d’identifier les besoins et les opportunités en termes de collaboration, de placement et d’amélioration continue. En effet, il est essentiel pour Insertion Genève de prendre sa place dans un paysage économique nourri, afin de contribuer au débat public et d’avoir un impact sur les décisions qui concernent ses membres.
Toujours dans cette idée de rencontres avec les faîtières du canton de Genève, nous projetons notamment de continuer nos échanges avec le CAPAS (Collectif d’associations pour l’action sociale) afin de garantir des prestations au plus près des besoins de nos membres. Concernées par un public commun, nous souhaitons promouvoir une image solidaire et collaborative entre associations faîtières.
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« Ces échanges réguliers encouragent la diffusion des bonnes pratiques »
Avec la création de la Commission spécialisée jeunesse et SEMO, c’est l’occasion pour Christine Gfeller, responsable du semestre de motivation (SEMO) à Bienne, de revenir sur l’évolution du SEMO et les défis liés à l’insertion des jeunes. Elle nous parle également du rôle de la nouvelle Commission et de ses objectifs.
Pourriez-vous vous présenter et parlez de votre rôle dans l’organisation des semestres de motivation ? Comment se présente ce programme d’insertion des jeunes à Berne ?
Je m’appelle Christine Gfeller. Depuis 14 ans, je suis responsable du semestre de motivation bilingue à Bienne. A l’origine, j’étais enseignante à l’école obligatoire. Puis, j’ai bifurqué pour devenir enseignante spécialisée et ai commencé à travailler avec les jeunes adultes. C’est à ce moment-là que deux choses m’ont frappée : la première était à quel point le travail avec les adolescent∙e∙s et les jeunes adultes me tenait à cœur. La seconde était à quel point il est passionnant d’accompagner ce groupe d’âge sur le chemin du monde du travail. A Bienne, mon équipe est composée d’enseignant∙e∙s, d’accompagnat∙eurs∙rices socioprofessionnels, de travailleu∙rs∙ses sociaux ou encore de psychologues.
« La diversité et l’approche globale de l’accompagnement des adolescent∙e∙s et des jeunes adultes dans le cadre du SEMO me plaît beaucoup et rend mon travail passionnant. »
Comment est-ce que le semestre de motivation a vu le jour ?
Dans les années 1990, le chômage des jeunes était très élevé. En réaction à ce phénomène, le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) a demandé aux Cantons de mettre en place des programmes de soutien pour les jeunes sans emploi et sans formation – le SEMO voyait le jour. Il s’agit d’un programme d’insertion professionnelle, en partie financé par l’assurance-chômage, pour que les jeunes de 15 à 25 ans, sans solution après l’école obligatoire, puissent suivre une formation et trouver leur place sur le marché du travail.
En 2023, une nouvelle Commission spécialisée SEMO et jeunesse (DE) apparaissait au sein d’Insertion Suisse. Quelle est l’histoire derrière la création de cette commission ? Pourquoi a-t-elle été créée ?
Il y a 30 ans, lors de la création des semestres de motivation, le SECO endossait une responsabilité dans la coordination des SEMO en Suisse. Il faut bien comprendre que les directives qui encadrent l’organisation des SEMO sont édictées par le SECO tandis ce que leur mise en œuvre est de la responsabilité des Cantons. Cette situation conduit à des pratiques et des offres disparates entre les Cantons. Le mandat est le même mais les pratiques sont différentes.
Voilà pourquoi, le SECO avait chargé un coordinateur d’organiser deux fois par an des échanges de pratiques entre les responsables cantonaux des SEMO et la mise en place de formation continue spécialement conçu pour les collaborateurs et les collaboratrices des SEMO.
Seulement, il y a quelques années, le SECO a décidé de transférer cette responsabilité aux Cantons et la coordination a été supprimée.
« En réponse à cette suppression, nous avons toutefois pris le parti de continuer à nous rencontrer car les échanges de pratiques étaient précieux pour mettre en commun nos ressources et identifier des synergies. »
Peu à peu, l’idée que nous voulions plus de stabilité a fait son chemin. C’est dans cette optique que nous avons pris contact avec Insertion Suisse et constaté que la création d’une Commission spécialisée était la meilleure solution pour atteindre nos objectifs.
En parlant de cela, quels sont les principaux objectifs de la Commission spécialisée ? Quel manque vient-elle combler ?
Tout d’abord, il est central de développer un réseau entre les acteurs et les actrices du SEMO par le biais de journées d’étude, de rencontres et de formations continues. Lorsque nous nous réunissons, presque tous les cantons germanophones sont présents, il ne manque que des représentant∙e∙s des Cantons de Fribourg et du Valais.
« Ces échanges réguliers encouragent la diffusion d’idées et de bonnes pratiques. »
Par exemple, il y a un an, le représentant du Canton des Grisons m’a appelée. En effet, à Berne, nous avons mis en place un programme SEMO à bas seuil. Cette offre s’adresse aux jeunes qui ne sont pas encore prêts à entamer une formation professionnelle et qui ont besoin de soutien pour développer des compétences professionnelles de base. Mon collègue des Grisons s’est ainsi renseigné sur la faisabilité de mettre en place un tel programme dans son Canton. Je l’ai aidé pour avoir accès aux chiffres du Canton de Berne et il a ainsi disposé d’arguments supplémentaires pour convaincre de la plus-value d’une telle offre.
Enfin, nous constatons que notre mandat ne correspond plus à la réalité. Beaucoup de places d’apprentissage sont disponibles et le chômage a baissé. Les jeunes qui fréquentent le SEMO aujourd’hui ont de lourds bagages et de nombreux défis à relever. Notre mission reste la même, mais la clientèle a évolué. Face à cette situation, il est essentiel de s’unir pour formuler des demandes auprès du SECO et de présenter d’une même voix la situation sur le terrain.
« Se réunir en tant que Commission d’Insertion Suisse apporte à nos déclarations une légitimité supplémentaire. »
Vous dites que la clientèle du SEMO a changé, quelles évolutions avez-vous observées ces dernières années ?
Depuis six ou sept ans, nous observons que la problématique de la santé mentale chez les jeunes prend de plus en plus d’importance. C’était déjà le cas avant la pandémie, mais le COVID a encore accentué le phénomène. Les offres doivent s’adapter aux besoins spécifiques des jeunes ayant des problèmes de santé mentale. C’est la raison pour laquelle une offre à bas seuil a vu le jour au SEMO de Berne.
La deuxième grande évolution observée est liée à la migration. Avec les vagues de réfugié∙e∙s, de nombreux jeunes entre 15 et 25 ans sont arrivés en Suisse, y compris des jeunes non accompagnés.
« Nous sommes alors confrontés aux problématiques de la maîtrise de la langue, des différences culturelles et de la gestion des traumatismes liés au parcours migratoire. »
En parallèle à ces évolutions sociétales, le paysage de la formation professionnelle s’est transformé avec la généralisation des certificats fédéraux de deux ans : les AFP. Cela a permis aux jeunes, qui n’arrivaient pas à décrocher une place d’apprentissage de trois ans, d’avoir accès à un certificat fédéral.
Enfin, de plus en plus de jeunes ont besoin du soutien de l’assurance invalidité (AI) pour financer une formation professionnelle aménagée avec le soutien nécessaire. Nous apportons alors un accompagnement dans les démarches auprès de l’AI. C’est notamment le cas par exemple, avec des jeunes atteints du syndrome d’Asperger, de troubles de l’attention ou d’autres troubles psychiques prolongés. Il n’y avait auparavant pas autant de nuances du spectre des troubles mentaux qui étaient diagnostiqués.
Trente ans auparavant, la clientèle typique du SEMO était constituée de jeunes qui n’avaient pas trouvé de place d’apprentissage en raison de résultats scolaires insuffisants. Bien entendu, il y avait aussi des jeunes malchanceux qui, malgré de nombreuses candidatures, n’avaient pas encore reçu de réponse positive. Cette clientèle existe encore. Toutefois, si ces jeunes sont assidus et sont motivés pour trouver une place d’apprentissage, il est pour nous plus facile d’offrir le soutien adéquat.
« Les thématiques sont devenus plus nombreuses, plus variées et plus complexes. L’offre doit s’adapter à ces nouveaux besoins et pour ce faire, nous avons besoin d’autres modèles et possibilités de financement. »
65
le nombre de membres d’Insertion Suisse actifs dans l’insertion des jeunes
La Commission spécialisée Jeunesse et SEMO
La Commission spécialisée Jeunesse et SEMO représente les membres des Cantons Suisse-Allemands qui proposent des programmes d’insertion socio professionnelle pour les jeunes. Son but est de mettre en réseau les acteurs et actrices de l’insertion des jeunes pour permettre un échange d’expériences et de bonnes pratiques. A travers l’organisation de colloques et de rencontres réunissant les professionnel∙le∙s de l’insertion des jeunes, la Commission spécialisée favorise leur professionnalisation et encourage l’innovation. Cette plateforme d’échange fait remonter les préoccupations et les connaissances des acteurs du terrain. Elle conseille Insertion Suisse sur les thématiques liées à l’insertion des jeunes et les semestres de motivation. Enfin, elle permet la représentation de leurs intérêts vis-à-vis des acteurs∙rices politiques, économiques et sociaux. Pour le moment, il n’existe pas de Commission spécialisée jeunesse et SEMO en Romandie, les organisations intéressées pour débuter un tel projet sont invitées à prendre contact avec Insertion Suisse.
« En Suisse, nous vivons côte à côte sans dialoguer suffisamment »
Morgane Kuehni et Yves Ecoeur sont tous les deux co-responsables de la Commission romande pour l’insertion par l’économique (CRIEC). Ils reviennent sur le parcours peu commun de cet organe, sur les enjeux de l’insertion par l’économique ainsi que sur les perspectives pour le futur.
En quelques mots, pourriez-vous vous présenter et parlez de votre rapport à l’insertion par l’économique ?
Yves Ecoeur : Depuis plus de 25 ans, je suis actif dans le domaine de l’insertion au sein de l’Œuvre suisse d’entraide ouvrière (OSEO) où j’ai développé des programmes de formation, de coaching et des mesures d’’insertion par l’économique. Au début des années 2000, après avoir fédéré les acteurs de l’insertion en Valais, j’ai été vice-président d’Insertion Suisse. Actuellement directeur de l’OSEO Vaud, nous accompagnons au total chaque année 2’500 participant∙e∙s et proposons des programmes plus spécifiques d’insertion par l’économique. Beaucoup d’entre eux ont un lien fort avec la transition écologique.
Morgane Kuehni : Je suis sociologue du travail, professeure à la Haute école de travail social et de la santé de Lausanne (HETSL-HES-SO) depuis 10 ans. Je m’engage également comme membre du réseau de compétences MaTISS (Marché du travail, insertion et sécurité sociale). Mes axes de recherche et d’enseignements traitent des politiques d’activation développées dans le cadre de la protection sociale en Suisse, en particulier dans les domaines de l’assurance chômage, de l’assurance invalidité et de l’aide sociale. L’insertion par l’économique ne représente qu’une partie des mesures d’insertion développées aujourd’hui. Toutefois, celle-ci est particulièrement intéressante à soumettre à l’analyse au vu de sa proximité ou de ses recoupements avec le marché du travail.
Quelle est l’histoire derrière la création de la Commission romande de l’insertion par l’économique ? Pourquoi a-t-elle vu le jour ?
Yves Ecoeur : Tout est parti d’une prise de conscience de l’importance de développer des programmes d’insertion qui présentent des liens forts avec les conditions réelles d’emploi. A travers des stages dans des entreprises privées ou encore par la mise sur pied d’entreprises sociales, les participant∙e∙s se retrouvent mis en situation et acquièrent des compétences professionnelles.
A la fin des années nonantes différents acteurs et actrices romand∙e∙s ont réfléchi ensemble à la thématique de l’insertion par l’économique. Nous sommes allés aux rencontres francophones de l’économie sociale, une fois en Belgique et une fois à Montréal. La nécessité de s’organiser s’est alors imposée. C’est dans ce contexte que le Conseil romand d’insertion par l’économique, ancêtre de la CRIEC, a vu le jour. Dans la même période, nous avions, à l’OSEO, organisé à Fribourg le premier colloque national des entreprises d’insertion en 1999. Ce n’est que récemment que la CRIEC s’est remobilisée et rapprochée d’Insertion Suisse pour formaliser la collaboration via une commission formelle au sein de l’association faîtière. Ce rapprochement crée des synergies précieuses.
« D’un côté, Insertion Suisse bénéficie d’une expertise de première main sur l’insertion par l’économique ; de l’autre, la CRIEC gagne en visibilité et en légitimité. »
D’une manière générale, quels sont les objectifs principaux poursuivis par la commission spécialisée ?
Morgane Kuehni : La CRIEC est d’abord un lieu de discussion et de rencontre visant à promouvoir les échanges de pratiques entre professionnel·les de Suisse romande. Pour remplir cette mission, nous avons pour objectif d’organiser des rencontres thématiques portant sur l’insertion par l’économique. La CRIEC vise ensuite à sensibiliser les différentes parties prenantes, dont les décideurs et les décideuses politiques, concernant certains enjeux actuels de l’insertion par l’économique. L’objectif est de documenter et d’informer des préoccupations du « terrain » ; qu’il s’agisse des différentes problématiques rencontrées par les professionnel·les ou les personnes accompagnées. Enfin, nous souhaitons dynamiser l’échange au niveau national et international en renforçant les interactions à l’intérieur de la communauté et des réseaux professionnels et académiques actifs dans ce domaine.
Quels sont les grands enjeux actuels de l’insertion par l’économique ?
Morgane Kuehni : Vaste question ! Il n’est pas aisé de répondre de manière concise, car cela dépend du point de vue avec lequel on l’aborde. Au niveau politique tout d’abord, il n’y a pas véritablement de consensus : que vise l’insertion par l’économique ? Un retour sur le marché du travail ordinaire ou une place de travail subventionnée qui permet de travailler dans d’autres conditions que celles du marché ? Plusieurs modèles coexistent aujourd’hui en Suisse.
Si l’on prend le point de vue des organisateurs et organisatrices de mesures, les enjeux de financement sont particulièrement saillants. Les entreprises sociales reposent sur un modèle commercial mixte avec un financement qui vient du marché et de subventions étatiques. Les conditions du soutien financier varient selon les cantons, les publics concernés (aide sociale, chômage, assurance-invalidité) ou encore la situation économique, par exemple le taux de chômage. A cela s’ajoute d’autres enjeux organisationnels, notamment la mise en concurrence des organisateurs et organisatrices de mesures, la clause de non-concurrence économique ou encore le profil des publics accueillis et le type de mandat confié par l’État.
Pour les professionnel·le·s de l’insertion, les enjeux sont encore différents, car leur objectif est double. Il s’agit d’une part de produire des biens et des services qui doivent être vendus sur le marché et, d’autre part, d’accompagner et/ou de renforcer « l’employabilité » des personnes exclues du marché du travail. Ces personnes sont parfois dans des situations très complexes, certaines ont beaucoup d’attentes et d’autres de nombreuses craintes. Pour les professionnel∙les de l’insertion, le manque de ressource, et particulièrement le manque de temps est un enjeux crucial. En effet, les mesures sont souvent de durée limitée (3, 6 ou 12 mois) et, dans certains cas, elles sont évaluées, par exemple sur la base d’un taux de réinsertion.
« C’est un vrai travail de jonglage qui se met en marche dans ce laps de temps, entre les tâches d’accompagnement, la formation, la prospection pour trouver des places de travail ou encore la rédaction de rapports à destination des mandataires. »
Pour les bénéficiaires, les enjeux sont encore tout autre. Ces personnes travaillent dans des conditions qui diffèrent le plus souvent de celles du marché, en termes de contrats de travail, de rémunération, de perspective de carrière et plus largement de reconnaissance de leur investissement. Les enjeux statutaires sont pour le moins importants : suis-je vraiment un·e travailleur·euse comme un∙e autre si mes conditions de travail sont tellement différentes ? La réponse n’est pas simple et les vécus sont très différents selon les situations. Sur le versant négatif il y a le sentiment d’exploitation et le risque de stigmatisation et, sur le versant positif, le sentiment d’utilité et d’appartenance, la structuration journalière, les apprentissages, etc.
Que souhaitez-vous pour le futur développement de cet organe ?
Yves Ecoeur : D’une part, je souhaite élargir et diversifier le cercle de la CRIEC en intégrant d’autres acteurs et actrices romands de l’insertion par l’économique. Certains Cantons romands ne sont pas encore représentés dans la Commission. D’autre part, je suis d’avis qu’un dialogue avec les autres organisations du même type en Suisse alémanique doit être instauré. Comme dans de nombreux domaines en Suisse nous vivons côte à côte mais sans dialoguer suffisamment. Sur ce plan, Insertion Suisse fait un très bon travail pour favoriser l’échange entre les acteurs et actrices de l’insertion.
« Il faut que la CRIEC joue un rôle de fer de lance pour faire remonter du terrain les préoccupations de l’insertion par l’économique. »
A travers Insertion Suisse, je souhaite que nous incarnions les porte-paroles légitimes de l’insertion par l’économique auprès des décideurs et décideuses au niveau de l’administration et de la politique. Enfin un dialogue avec les Hautes écoles doit être développé pour évaluer les pratiques actuelles et stimuler les acteurs pour créer de nouveaux outils d’insertion par l’économique, ceci en tenant compte des limites planétaires.